Quid de la lecture technique
Étape primordiale de la préparation, la lecture technique peut se définir comme une « lecture » du scénario entre le réalisateur et ses chefs de poste autour d’une même table. Elle est « technique » dans le sens où on y aborde les différents points de fabrication du film. Mais on devrait également y adjoindre le mot « artistique » car c’est précisément le meilleur moment de la préparation pour mettre tous les départements en phase avec la vision du réalisateur.
À quel moment faut-il faire cette lecture ?
Le plus tôt possible ! … Quand les principaux chefs de poste sont là.
Qui est présent ?
Le réalisateur, le 1er assistant réalisateur et son second, le directeur de la photographie, l’ingénieur du son, le chef décorateur, le chef costumier, le scripte, le directeur de production et son assistant de production, le régisseur général et son adjoint. Idéalement.
Le producteur est parfois présent. Ça dépend. Le scénariste / co-scénariste (s’il y en a un) également. L’accessoiriste. Le chef maquilleur selon.
Les absents sont généralement le directeur de casting, le repéreur, le chef électricien, le chef machiniste, l’administrateur de production, le 1er assistant caméra… car soit ils ne sont pas encore sur le film soit leur présence n’a pas un intérêt crucial lors de cette lecture. Évidement, il n’y a pas de comédiens !! Pour celles et ceux qui avaient un doute. ;)
Selon les projets, il peut y avoir des « guests » particuliers comme un dresseur d’animaux, un responsable des effets spéciaux mécaniques ou numériques, etc. Mais, il vaudra mieux une réunion dédiée avec ces derniers.
Une douzaine de personnes en somme qui s’assoient donc autour d’une même table et qui ne sont pas forcément en colère comme notre image à la une ;) (12 hommes en colère de Sidney Lumet, 1957).
Qui est à l’initiative de cette lecture ?
Le premier assistant réalisateur quand il arrive sur le projet et si elle n’est pas déjà programmée par la production et le réalisateur.
Où l’organiser ?
Dans les bureaux de préparation de la production. Sinon, quelque part ou chez quelqu’un qui peut accueillir tout ce beau monde dans un espace suffisant pour ne pas être trop à l’étroit avec les ordinateurs portables, les scénarios, les cafés…
Quand ?
En début de semaine comme un lundi afin de rester dans l’énergie de cette lecture les jours suivants de la préparation et en commençant dés 9h00 / 10h00 maximum le matin. Comptez 15 à 30 minutes le temps des bisous, de prendre les cafés et les petits retards avant de commencer.
Les indispensables à prévoir !
Des scénarios imprimés et reliés pour chaque personne présente. Les ordis avec leurs rallonges pour se brancher, du net, de quoi grignoter et beaucoup de café.Jour J : juste avant la lecture !
Une fois que tout le monde est prêt et assis, juste avant de commencer à lire, il y a généralement une courte introduction du 1er assistant réalisateur, le médiateur de l’événement.
Il remercie les parties en présence, fait les présentations et se présente par la même occasion si nécessaire. Selon, il peut évoquer la genèse et les enjeux du projet… Rappeler les dates de tournage, les grandes échéances à venir, etc… et finir avec une petite blague pour réveiller l’assemblée encore ensommeillée.
Il présentera aussi son second assistant réalisateur qui sera en charge de prendre des notes pour faire un compte rendu par email en fin de journée.
Là-dessus, le réalisateur pourra enchaîner en disant un petit mot de bienvenue et en détaillant les enjeux de son film rapidement introduits par son premier.
Ensuite, il arrive souvent que le directeur de production et/ou le producteur fassent un petit rappel du cahier des charges pour assoir dès le début, un certain pragmatisme à adopter pendant cette lecture.
Petit conseil aux premiers. Prévenez votre réalisateur, s’il n’a pas l’habitude des lectures ou si il est très introverti, qu’il est de bon ton de faire un petit pitch, au moins de bienvenue, à son équipe avant de commencer. Après tout, on est tous là pour lui.
Jour J : on lit !
« Qui veut lire ? » … Silence dans la salle. « Un volontaire ? » … Regards fuyants de l’équipe et grattements de gorge du premier assistant. À cette heure matinale en effet, ça ne se bouscule pas au portillon. :)
Plus sérieusement, si personne ne prend l’initiative, le premier assistant désigne aimablement un volontaire qui s’ignore. Généralement, le scripte ou le second assistant. Parfois, le réalisateur lui-même. Et parce que la lecture est souvent longue, le lecteur peut bien évidemment changer pendant la lecture.
Le premier assistant peut lire bien entendu. Au moins pour amorcer. Mais il aimera profiter de ce petit temps de lecture par un tiers pour viser son dépouillement et ainsi se remettre en tête les points importants à aborder sur ladite séquence.
Revenons un instant sur la méthode de la lecture…
Une lecture technique se fait séquence par séquence ! Séquence 1, le lecteur lit à haute voix l’intitulé, l’action, les dialogues et didascalies éventuelles puis il s’arrête avant la séquence 2.
À ce moment là, la réalisateur prend la parole et évoque les intentions de la séquence. Narratives principalement mais aussi selon, de mise en scène, direction de comédiens, lumière, son…
Ensuite, les différents chefs de poste posent leurs questions respectives et variées, à tour de rôle.
Le gros avantage de cette lecture à plusieurs, contrairement à la plupart des autres réunions plus orientées, c’est ce que tous les principaux postes sont là et peuvent par conséquent échanger sur les différents points de fabrication communs et interdépendants comme la direction artistique (déco, costumes, image…), la mise en scène (real., chef op, assistants…), la configuration de l’équipe (renforts, équipe réduite…) et le matériel technique…
On y pose aussi des questions plus spécifiques à un département et qui n’intéresse pas toujours tout le monde. À l’assistant, le médiateur, de prioriser si la session s’éternise de trop sur une séquence pour avancer.
Le mythe de la lecture technique qu’on n’arrive jamais à terminer !
C’est malheureusement la triste vérité dans la plupart des cas…
12h30, pause déjeuner sur le pouce et sur place. Le directeur de la photographie se lève, goguenard, et réplique avec un léger sourire : « On est à peine à la page 15 sur 80… » !
Parce qu’une lecture technique commence tôt et doit se terminer à un horaire décent qu’il est bon de fixer à l’avance (18/19h grand max), elle doit être efficace. C’est là que l’assistant doit tenir son rôle avec diplomatie et pédagogie sans toutefois se considérer déjà sur le plateau… Ce rôle, comme dit plus haut, est de prioriser si on s’enterre sur un petit détail ou un gros sujet qui peut être évoqué ultérieurement.
Les astuces pour accélérer la lecture.
Après une petite pause, la lecture qui a pris du retard reprend. Que faire pour avancer plus vite et terminer dans les temps ?
> Ne plus lire !
Première évidence et logique vu que tout le monde a lu le scénario au préalable. On passe directement aux intentions du réalisateur et aux questions des chefs de poste, séquence par séquence. Alors oui, on va plus vite mais on perd cette écoute du scripte lu à haute voix et la lecture simultanée de chacun pour se remettre dans l’ambiance de la séquence, se rappeler d’un petit détail qu’on aurait ommis dans son dépouillement…
Un bon compromis consiste à lire tout de même la séquence si elle se tient dans un nouveau décor encore non discuté en session.
> Allez à l’essentiel !
On parle des interdépendances entre départements en priorité et des enjeux importants, spécifiques ! Au médiateur de prioriser comme dit plus haut, selon les cas.
En moyenne, on lit et discute d’une dizaine de pages par heure… À vous de faire le calcul pour estimer le temps nécéssaire à la lecture technique.
Un chef de poste en retrait ou carrément mutique ? Que faire…
L’ingénieur du son ne dit pas un mot ? La scripte n’intervient pas sur des points qu’elle devrait relever ?
À une lecture, certains postes (pas forcément ceux cités ci-avant à titre d’exemple), n’interviennent pas suffisamment alors qu’ils le devraient.
L’assistant a alors deux solutions : soit il parle directement du point en question, avec précaution dans certains cas, pour ne pas se substituer à l’autre… Pas question de froisser quiconque.
Soit, il invite subtilement la personne à s’exprimer en introduisant, parfois naïvement, le dit point à éclaircir. Diplomatie, mon amour ! :)
Après la lecture…
Prévoyez 30 à 60m après la lecture pour régler quelques affaires courantes car tous les partis sont là. Prochaines réunions à caler, discussions entre certains postes sur des sujets précis non vus en détail pendant la lecture…
Les faux pas à éviter pour l’assistant lors d’une lecture technique !
– Mettre en porte-à-faux quelqu’un par maladresse… À ce stade de la préparation, les personnes se connaissent à peine. Il faut rester prudent dans ses interventions, parfois même sur les mots employés pour parler des sujets qui peuvent fâcher. Ménagez les susceptibilités potentielles !!
– Être trop présent… Dans l’énergie et avec une assemblée laconique, l’assistant peut se laisser emporter en s’écoutant parler ou être trop interventionniste. L’écoute des autres est primordiale et les interventions de l’assistant doivent être pertinentes et mesurées.
– Laisser passer un point important… Avec une lecture qui s’accélère en deuxième partie de journée, on peut passer à côté d’un sujet qui compte. À l’assistant de temporiser et d’en parler pour le soumettre en session.
– Penser à son « bas de grille »… De tous les postes présents, l’assistant réalisateur est sans doute la personne qui a le plus grand nombre de questions à poser. Beaucoup sont constituées par le bas de grille de son dépouillement. En clair, les catégories qui ne sont pas urgentes à aborder et qui peuvent attendre. Un petit accessoire, un détail au costume, un aspect mineur de mise en scène…
L’assistant doit vérifier en priorité son haut de grille : présence des rôles et silhouettes par séquence pas toujours cités dans le scénario, les effets, les sous décors, les véhicules, les animaux, les cascades, SFX, VFX, la sécurité…
Fin de journée !
Vous voilà avec des pages et des pages de notes.
Le second assistant commence à se décomposer en pensant aux trois heures qu’il va passer devant son ordi le soir ou le lendemain à taper son rapport car il ne s’est pas dit le matin que ce serait peut-être mieux d’écrire directement sur son traitement de texte. L’ingénieur du son qui a baillé à de nombreuses reprises se fait toiser par le chef opérateur. Le réalisateur fonce discuter avec son producteur qui s’est absenté plusieurs fois pendant le meeting avec son téléphone portable et le chef déco se jette sur le directeur de production pour lui demander une hausse de son enveloppe… :)Fatiguée mais satisfaite par toutes les réponses apportées en cette seule journée, l’assemblée s’embrasse et se quitte.