Entretien avec Laurent Blois, délégué général du SPIAC CGT
Nous avons eu le plaisir de rencontrer Laurent Blois dans les bureaux du Syndicat des Professionnel·les des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma afin de répondre à nos questions.
Des enjeux aux intérêts du syndicalisme aujourd’hui en passant par les a priori, est-ce que ça vaut le coup de se syndiquer dans cette période de mutation de nos métiers ?
Le syndicalisme est le mouvement qui vise à unifier au sein de groupes sociaux, les syndicats, des professionnels pour défendre des intérêts collectifs. Le syndicalisme désigne également l’action militante qui cherche à poursuivre les buts d’un syndicat. – Wikipedia
Bonjour Laurent, pouvez-vous vous présenter et nous parler du SPIAC ?
Laurent Blois > Je suis Laurent Blois, délégué général du SPIAC depuis un peu plus d’une vingtaine d’années maintenant. Je ne viens pas du tout de vos métiers du cinéma et de l’audiovisuel, mais mes employeurs sont comme vous, des salariés intermittents professionnels du cinéma. Je suis là pour faire vivre la démocratie et faire vivre les orientations qui sont décidées par un congrès, élu tous les trois ans, qui décide des orientations du syndicat. Le fonctionnement n’est pas tellement différent de celui d’une association.
Derrière moi, il y a un Conseil National. Ce sont des professionnels qui se réunissent une fois par mois, pour débattre de tous les enjeux conventionnels, politiques, syndicaux, etc. Quand il y a un vote, je n’y prends pas part, puisque je ne suis pas un professionnel de l’audiovisuel. À la CGT (Confédération Générale du Travail), les organisations syndicales sont autonomes. Ce n’est pas pyramidal. À cette confédération vont adhérer des Fédérations dont celle du spectacle, puis des organisations syndicales comme le SPIAC. On garde notre autonomie, le Secrétaire Général de la Fédération ne vient pas donner des ordres au SPIAC ou aux autres Fédérations.
La Fédération Nationale des Syndicats du Spectacle de l’Audiovisuel et de l’Action Culturelle regroupe les douze syndicats d’artistes et de techniciens. Comme par exemple : les métiers du spectacle vivant, ceux de l’audiovisuel et du cinéma (c’est nous), le Syndicat National des Radios et Télévisions, donc les techniciens de France Télévisions, Canal+ etc, ou encore le SFA, pour les artistes interprètes et de complément (qui sont représentés depuis peu).
La Fédération Nationale vient se positionner sur toutes les questions communes à l’ensemble des organisations syndicales du spectacle. Les plus essentielles, ça ne vous aura pas échappé, sont l’intermittence, l’allocation chômage et la formation des intermittents. C’est à la Fédération d’intervenir pour trouver des réponses après concertation avec les organisations syndicales qui la composent.
La convention collective du cinéma a été étendue en 2015. On l’améliore et on la fait évoluer parce que le travail change et les problématiques avec. La Fédération ne s’est jamais mêlée de la manière dont le SPIAC a négocié la convention collective du cinéma, même s’ils sont venus nous apporter de temps en temps leur soutien.
En nombre d’adhérents, voyez-vous une évolution au fil du temps ?
Laurent Blois > Nous avons de plus en plus d’adhérents, des jeunes, voire très jeunes. Les gens adhèrent comme ça n’a jamais adhéré. Nous avons quasiment autant de femmes que d’hommes. Par contre, on a perdu notre représentativité dans l’animation.
Pourquoi être syndiqué « fait peur » aux employeurs ?
Laurent Blois > Si ça doit desservir professionnellement, il ne vaut mieux pas dire qu’on est syndiqué. Mais ça a changé au fil du temps, pour tout un tas de raisons. Si je prends l’exemple du cinéma, pendant 20 ans, il n’y avait aucun dialogue social possible dans ce secteur. Il n’y avait même pas de réunion avec les organisations syndicales de producteurs. À l’époque, les chefs de poste étaient des mecs reconnus, qui étaient bien payés. Il n’y avait pas de souci pour ces gens-là. Puis, le vent a tourné. Ils ont été confrontés à des économies drastiques dans leur secteur. Il y avait tout un tas de problèmes qui s’étaient accumulés dans le cinéma. Il fallait renégocier une convention collective.
Je fais partie de ceux qui pensent qu’on peut faire du syndicalisme intelligemment en réclamant ses droits. Si je prends l’exemple de la post-production, on se bat pour leurs heures supplémentaires qui ne sont quasiment pas payées. Un des représentants de leur syndicat nous dit : « mais au bout d’un moment, si on ne les réclame pas assez clairement, ne les aura pas”. Réclamer quelque chose, ce n’est pas forcément sortir la camionnette et la banderole en disant « tu me donnes ça, ou je te casse la gueule ». C’est simplement rappeler qu’il y a des règles à respecter et elles sont dans la convention collective.
Le marché change et certaines productions ne peuvent pas payer toutes nos journées de travail (heures supplémentaires non payées, préparation au forfait, etc.). Souvent, on nous vend un coup de cœur artistique pour un projet avant de nous parler argent. Doit-on travailler gratuitement ?
Laurent Blois > Je ne veux pas être caricatural, mais si tu veux travailler gratuitement mon gars, c’est ton problème ! Je pense qu’on n’a rien à gagner à travailler gratuitement. Pour en revenir à la question, bien entendu, j’y réponds non. Je sais que pour certaines productions, les salaires minimums sont compliqués à tenir. Pourquoi a-t-on accepté qu’il y ait un niveau de salaire dérogatoire dans le cinéma avec l’annexe 3 ? On l’a accepté simplement pour l’emploi. Nous avons tenu compte de l’économie du cinéma, nous avons des films à moins de 3 millions d’euros avec, au fil des ans, un budget médian qui ne cesse de baisser.
En 2015, si on n’obtenait pas l’extension des conventions collectives, on savait qu’on risquait de sacrifier un nombre important de films et donc de l’emploi. Des films qui ne se font pas, ce sont des gens qui ne bossent pas. Les rapports faits par des spécialistes du financement du cinéma montrent que là où se trouve la meilleure adéquation entre, « la qualité du film » et son exposition en salles, c’est sur ce qu’on appelle « les films du milieu ». C’est là qu’on a le meilleur ratio entre ce qu’a coûté le film et ce qu’il va ramener en nombre de spectateurs parce qu’il a des moyens pour être distribué. Quand Dominique Boutonnat est arrivé à la tête du CNC, il a fait un tollé en disant qu’il faudrait peut-être faire moins de films, mais mieux les financer.
Nous nous sommes battus pour que dans le court-métrage par exemple, les gens soient au moins payés au SMIC. Je me rappelle une réunion très chaude, voire brûlante, il y a quelques années, le CNC a annoncé 800 courts-métrages par an. Alors moi, un peu abruti, je demande : « Mais attendez qui peut voir 800 courts métrages par an ? Comment ils sont montrés ? ». Derrière ces chiffres, ça veut forcément dire qu’il y a des gens qui sont mal payés, voire pas payés du tout.
Or, nous préférons qu’il y ait moins de courts métrages financés par an, mais que les gens soient payés au moins au SMIC. J’ai entendu dire que le SPIAC et la CGT allaient tuer le court métrage ! On n’a tué personne, je ne crois pas. On essaye d’être dans l’équilibre. Quand on est une organisation syndicale, on se doit de défendre l’emploi.
Et entendons-nous bien. Ça ne nous regarde pas de savoir si les gens bossent gratuitement sur un film autofinancé. Très franchement, on n’a aucun problème avec ça. Là où ça commence à nous regarder, c’est quand il y a des financements publics parce que c’est encadré par la loi. On n’a pas le droit de donner des aides publiques à des gens qui ne respectent pas les normes sociales. Excusez-moi de parler comme un économiste, mais le cinéma et la production audiovisuelle, ce sont des secteurs industriels. Il faut qu’il y ait une adéquation, la moins faussée possible, entre ce que coûte un programme et ce qu’il peut rapporter.
Le système mis en place en 1946 avec la création du CNC a permis l’essor de la cinématographie en France. Nous sommes l’un des pays d’Europe qui produit le plus grand nombre de longs métrages. Si on arrive à ce qu’on appelle l’ultralibéralisme complet, nous allons nous retrouver dans une situation où on ne connaitra pas le vrai prix des choses. Parce que le vrai prix des choses, c’est ce que ça a coûté quand on paie les gens.
Pourtant, quand on a besoin de se relancer ou de se faire de l’expérience, certains acceptent tout.
Laurent Blois > Il en va de la responsabilité de chacun à essayer de faire respecter un minimum de choses parce qu’autrement ça devient un bordel, c’est l’entropie et chacun fait ce qu’il veut, comme il veut. Je le redis tranquillement, ici dans ce syndicat, on n’a jamais dit à quelqu’un qui a accepté de travailler en deçà du tarif « t’es un abruti, tu n’aurais pas dû accepter ». Mais on peut faire bouger les choses, on doit se battre pour qu’elles bougent ! Puis, il doit y avoir un équilibre. On n’est pas au croisement du règlement et de la bêtise.
La question, c’est comment on peut faire tous ensemble pour qu’un certain nombre de choses soient respectées ? Et je ne dis pas que c’est facile ! Il y a des gens qui ont besoin de se faire de l’expérience. Mais il a une certaine règle dans le monde du travail et pas que dans le cinéma. Plus t’es payé, plus tu es respecté. Et moins tu es payé, moins on te respectera. On se dira “celui-là, s’il coûte cher, c’est que c’est un professionnel, on va le respecter”. C’est comme ça dans les têtes.
Mais surtout, il faut faire remonter les informations aux organisations syndicales. Parce qu’il y a des boîtes qui ne tournent que dans l’irrégularité, que dans le turn-over de jeunes techniciens qui ne sont pas payés ou mal payés. Cette dynamique-là, chaque fois qu’on peut la casser, on essaie de le faire. L’information restera confidentielle entre la personne qui m’alerte et moi. Nous avons vocation à défendre toutes les personnes, syndiquées ou pas. En respectant scrupuleusement cette confidentialité, nous faisons tout pour ne pas priver les gens de travail. Notre défense n’est pas un remède pire que le mal. Il en va de l’intérêt de toute la profession.
Certains ont peur et ne veulent pas donner le nom de la production qui a un mauvais agissement. Mais c’est bien d’arriver à identifier certaines boîtes de prod. Parce que quand on se retrouve en négociation avec leur syndicat, à eux les employeurs, on peut leur dire qu’on a un certain nombre de retours qui nous laissent à penser qu’ils ne respectent pas les règles. Donc soit leur syndicat le rappelle à l’ordre, soit c’est nous qui allons le faire. Et là, ça va être méchant. Des fois, ça suffit à débloquer des situations.
En tant qu’assistant réalisateur, on est souvent en première ligne. Quand il y a des problèmes sur le tournage, les techniciens viennent nous parler avant d’aller voir les producteurs. Est-ce que vous pouvez nous donner les choses impératives à savoir en législation ? Quel est le « kit de survie législatif » de l’assistant réalisateur ?
Laurent Blois > La convention collective ! Il faut l’avoir lu au moins une fois dans sa vie, en tout cas. Il y a des livrets qui existent et qui sont en téléchargement gratuit sur notre site. Il y a un dispositif qui existe, ce sont les délégués de plateau. On fait une élection des délégués qui reçoivent toutes les doléances, au moins sur les tournages. C’est un peu plus compliqué en poste prod. Mais quand il n’y en a pas, est-ce que c’est forcément aux assistants réalisateurs de recueillir ces doléances ? Je n’ai pas la réponse.
On est en train d’imaginer un autre système pour faire refonctionner les délégués de plateau, c’est de prévoir une indemnité particulière. Là, ça rendra la chose plus attractive. Nous réfléchissons aussi à cela pour les différents référents sécurité ou harcèlement.
Pouvez-vous nous définir en quelques mots ce que sont la convention collective et les accords de branche ?
Laurent Blois > La convention collective régit l’organisation du travail dans un secteur d’activité donné. D’ailleurs, la première chose qu’on fait quand on négocie une convention collective, c’est d’en définir le champ d’application, c’est-à-dire à quels secteurs elle va s’appliquer. Et ensuite, elle doit contenir un certain nombre de dispositions obligatoires pour être dite “convention collective” : la durée du travail, le type de contrat de travail, l’organisation du travail, les listes de fonctions, des grilles de salaires, les dispositifs formation, l’égalité femme-homme, la non-discrimination syndicale, etc. Ça a commencé comme ça dans la production audiovisuelle. On avait des accords de salaires. Dans les années 90, il y a eu une grosse grève dans le téléfilm qui a obligé les producteurs à venir autour de la table. Le nerf de la guerre, c’est quand même les salaires. Mais ça ne pouvait pas être une convention collective parce que ça ne contenait pas toutes les dispositions que je viens d’évoquer. On appelle alors ça un accord partiel.
Qu’est-ce qu’un accord de branche ? La Fédération peut signer un accord de branche sur la formation professionnelle, qui va concerner tous les salariés intermittents, aussi bien ceux du spectacle vivant que ceux du spectacle enregistré. La convention a été étendue en 2015. Quant aux courts-métrages, on doit appliquer l’ensemble de la convention collective à l’exception des salaires. Donc tout ce qui régit l’organisation du travail, le temps de travail et tout ça doit être appliqué.
Sur n’importe quel tournage, on doit appliquer l’ensemble de la convention collective à l’exception des niveaux de rémunération qui eux sont spécifiques.
Vous l’avez expliqué, les salaires sont basés sur la « catégorie financière » du film (annexes pour le cinéma, possibilité d’être considéré comme technicien spécialisé selon le du budget dans l’audiovisuel). Comment peut-on connaître le réel budget du film sur lequel on travaille pour mieux négocier notre salaire ?
Laurent Blois > Sur le court-métrage, le budget est beaucoup moins encadré. Sur les films de l’annexe 3, on a exigé qu’il y ait une réunion préparatoire avec les chefs de postes. Cela a pour but de regarder si le film pouvait être de cette annexe ou s’il y avait des moyens de le construire sans y avoir recours. La réunion des chefs de postes est obligatoire dans la production cinématographique pour les films qui appliquent l’annexe dérogatoire de la convention collective. Aussi, vous pouvez connaitre le budget de la production sur laquelle vous vous trouvez via le site du CNC qui les communique lorsque des aides publiques sont versées.
Pourquoi y a-t-il autant de différence entre le syndicalisme en France et dans les autres pays comme les États-Unis par exemple ou les syndicats et corporations sont plus présents.
Laurent Blois > Ce n’est pas que culturel, ça ne s’est pas construit du tout de la même manière. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les gens ne bénéficient pas des accords et des conventions collectives si on n’est pas membre d’une organisation syndicale. Forcément, ça fait réfléchir les salariés. J’aimerais bien que ce soit comme ça en France. Mais ici et dans les pays latins, le syndicalisme ne s’est pas du tout construit de la même manière.
On n’a pas des taux de syndicalisation qui sont très inférieurs à ceux des autres catégories de salariés de ce pays. Et je suis tenté de vous dire qu’on a plutôt des taux de syndicalisation supérieurs. Il y a des secteurs entiers de ce pays qui n’ont même pas idée que les organisations syndicales existent. Ils n’ont jamais vu un syndicaliste ni rien. On est autour des 10 ou 11 % de taux de syndicalisation dans nos secteurs. Je préfèrerai que l’on soit plus coercitif, mais bon, il y a encore certaines personnes qui ont la mauvaise idée que, de toute façon, elles s’en sortiront toutes seules, sans organisation syndicale…
Est-ce que ça coûte cher d’être syndiqué ?
Laurent Blois > Ce n’est pas le montant de l’adhésion qui est un frein au syndicalisme. Il y a du crédit d’impôt, c’est-à-dire que quand vous adhérez à une organisation syndicale, vous bénéficiez d’un crédit d’impôt de 66 %. Au SPIAC pour être adhérent, on ne va pas vous demander votre avis d’imposition. On est sur la base d’une relation de confiance entre le salarié et nous. Le tarif de la cotisation est calculé sur le salaire annuel réel hors indemnisation chômage. Certains syndicats se basent sur le montant du salaire conventionnel, que vous ayez travaillé ou non. Nous, on est plus souples et on demande 1% du salaire annuel avec des modalités de versement et d’ajustement.
Laurent, merci.
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