Tourner avec des animaux (domestiques) : le kit de survie

« Aucun animal n’a été blessé ou tué pour les besoins de ce film »… ou presque !


À la fin de l’année 2022, l’ARA a organisé une table ronde sur le thème des tournages avec animaux. Au cours de ces discussions, auxquelles avaient été convié.e.s deux dresseur.e.s – Manuel Thomas et Juliette Roux-Merveille de la Compagnie Dog Trainer -, nous avons tenté de comprendre leur métier et de déterminer avec eux les conditions optimales d’accueil des animaux sur les plateaux.

C’est sur ce dernier point que notre rôle d’assistant.e.s réalisation peut être déterminant, afin que la sécurité et le bien-être de ces « acteurs » (contraints) soient mieux pris en compte. Cependant, et avant d’entrer dans le vif du sujet, notre action en faveur de la protection des animaux sur les plateaux nécessite une collaboration étroite et volontaire avec nos collègues de la régie et de la production, que j’invite également à lire les quelques lignes qui suivront.

Dans cet article, nous ne parlerons que des animaux domestiqués (ceux dits de compagnie ou de ferme), dont la liste est fixée par arrêté. Deux raisons ont présidé à cette décision. La première est empirique : ces animaux représentent la majorité de ceux mobilisés sur des plateaux. La seconde, éthique, concerne la captivité, le transport et les méthodes de dressage utilisées avec les espèces dites sauvages. Cette préoccupation est d’autant plus d’actualités que les recherches récentes des sciences consacrées aux comportements, aux lois et à la sociabilité des animaux (éthologie, zoonomie) nous permettent d’appréhender de mieux en mieux la complexité, la sensibilité et l’intelligence de ces individus, ainsi que la richesse de leurs interactions sociales. Aussi, le dressage et la mise en scène des animaux non domestiqués, laquelle implique leur maintien en captivité (les animaux libres ne peuvent en aucun cas être capturés pour un tournage) soulèvent des questions nouvelles et anciennes qui seront abordées ultérieurement.

Enfin, nous avons choisi de consulter des dresseur.e.s qui ont une approche bienveillante et moderne du dressage, basée sur le jeu, l’exploration et la récompense, JAMAIS sur la brutalité ou la contrainte (méthodes dépassées et illégales). Le temps est la clé de ce type d’éducation. Si cette vertu est souvent sacrifiée à chaque étape de création d’un film, nous revendiquons dans cet article, une approche à contre-courant des tendances actuellement observées dans notre industrie, mais en harmonie avec les évolutions en cours dans nos sociétés.

Et maintenant, mesdames et messieurs, voici le programme de ce kit de survie, le long duquel, chaque étape de notre travail est abordée :

    1. L’étude : le choix d’utiliser des animaux vivants ne doit jamais être gratuit.
    2. La préparation du tournage : bien choisir l’individu et permettre au / à la dresseur.e de
      préparer l’animal aux conditions réelles de tournage ainsi qu’aux actions attendues.
    3. Le tournage : adapter le plateau aux besoins de l’animal et assurer la protection de tou.te.s.
    4. Après le tournage : que deviennent ces animaux ?

En cliquant sur les termes en couleur, vous accèderez à leur définition dans l’abécédaire. 


1 – L’étude
Le choix d’utiliser des animaux vivants ne doit jamais être gratuit.

Si un scénario prévoit la mise en scène d’animaux, INTERROGER, en premier, lieu la possibilité de recourir à une alternative à l’utilisation d’un animal vivant. En effet, peu importe son degré de préparation et l’anticipation de ses besoins pendant le tournage, il sera nécessairement soumis à des aléas de stress et de fatigue. Effets spéciaux, animatroniques, animation, les solutions existent et sont de moins en moins couteuses.

Si aucune alternative n’est possible et que l’animal doit exécuter des actions précises, CONSULTER un vétérinaire-conseil doit être recommandée dès cette étape. Il sera en effet nécessaire de s’assurer, avant même d’envisager de consulter un.e dresseur.e ou de choisir l’animal, que les actions imaginées par les auteur.e.s du scénario sont légales et cohérentes avec l’espèce choisie (on ne jette pas un chat à l’eau, même pas pour la beauté de l’art). En particulier, si le scénario prévoit la présence d’animaux juvéniles, il est indispensable d’être conscient.e des contraintes que cela impose (voir détails dans la définition de bébés), notamment si l’individu n’est pas encore sevré, mais il faut également s’interroger sur les conséquences qu’une exposition précoce à ce type d’environnement peut avoir sur l’équilibre psychique et le développement futur de l’animal. Des questions auxquelles seul.e les vétérinaires ont des réponses.

Dans un deuxième temps, encourager la production à CONSULTER un.e dresseur.e pour connaître la faisabilité des actions prévues dans le scénario. La création, au préalable, d’un dépouillement dédié facilitera cette consultation. Si l’animal-acteur a déjà été choisi, une réécriture sera peut être nécessaire pour s’adapter à l’individu et à ses capacités.

SIGNALER aux producteurs/productrices si un élément du scénario peut constituer un délit aux regards du cadre réglementaire sur la protection animale (ex. scène de combat de chien/de coq ; scène dans laquelle un animal est maltraité, battu ou tué ; scène de zoophilie ou à caractère pornographique). Pour cela, il convient d’être au fait de la définition donnée à la maltraitance par le Code Pénal.

ENCOURAGER la présence sur le plateau d’un.e référent.e dédié au bien-être animal. Imposé depuis 2022 en France dans les élevages, ce poste existe déjà sur les plateaux de cinéma aux États-Unis. Cela permet de ne pas faire peser entièrement la protection de l’animal sur les épaules de l’assistant.e réalisation, de l’équipe déco ou de la régie, dont ce n’est pas le métier.


2 – La préparation
Bien choisir l’individu et permettre aux dresseur.e.s de préparer l’animal aux conditions réelles de tournage ainsi qu’aux actions attendues.

CASTING : Aucune loi ne nous contraint à recourir à des animaux dressés pour répondre aux besoins d’un film. Il existe même des agences dans lesquelles des propriétaires particuliers proposent de « louer » leur animal « de compagnie » pour des tournages.

Mais, un animal qui n’est pas préparé, par un.e spécialiste des tournages, à répondre à des demandes précises, dans les conditions d’un tournage (bruit, stress, foule) sera perturbé, apeuré et imprévisible. Par ailleurs, toute activité avec un animal nécessite des qualifications précises et d’être en règle au regard de l’administration publique… autant d’éléments qui devront être vérifiés par les personnes compétentes en amont du tournage. Enfin, la responsabilité pénale de la production peut être engagée en cas de maltraitance, volontaire… ou non.

Il est donc nécessaire de faire appel à des dresseur.e.s spécialisé.e.s en cinéma, à jour de leurs connaissances et en règle au regard de l’administration publique, et qui ont une approche du dressage conforme à la loi : affamer un animal, le battre, l’attacher pour le maintenir dans une position dangereuse/douloureuse ou simplement ne pas le mettre dans des conditions conformes aux besoins de son espèce sont des délits. Enfin, même parmi des animaux dressés, le choix de l’individu, en fonction de son tempérament, sera déterminant. Il devra être fait en consultation avec le/la dresseur.e qui connaît le caractère et les capacités de ses animaux. Comme partout, il n’y a pas que l’apparence qui compte.

LECTURE TECHNIQUE : Convier le/la dresseur.e lors de la lecture technique, au même titre que les autres chef.fe.s de poste, lorsque l’animal est central dans la narration. A défaut, il faudra prévoir une rencontre / réunion dédiée. Cela permettra d’anticiper des situations complexes, des besoins de doublure et d’évaluer avec davantage de précision le temps de tournage de certaines scènes.

ANTICIPER la préparation de certaines actions : Pour obtenir d’un animal qu’il se conforme à l’imaginaire de l’auteur.e du scénario, aux conditions de tournage et à certains décors, il faudra parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois de préparation à un.e dresseur.e. Dans tous les cas, une action mettant en danger l’animal devra être truquée, sans exception (ex. scène de noyade, chute, etc). À noter également que l’anesthésie d’un animal pour des besoins narratifs (simulation de la mort, immobilisation, etc.), est strictement interdite par l’Ordre National des Vétérinaires (plus de détails dans la définition). Enfin, dans l’hypothèse d’une action potentiellement compliquée ou périlleuses (dans les limites imposées par la loi et le Code de déontologie vétérinaire), un STORYBOARD peut aider chaque membre de l’équipe, dont les dresseur.e.s, à anticiper l’action de l’animal.

REPÉRAGES TECHNIQUES : Si la séquence et l’importance du rôle de l’animal le nécessitent, il peut être pertinent de convier les dresseur.e.s à voir les décors avant le début du tournage.

RENCONTRE avec les partenaires de jeu : En cas d’interaction avec les comédien.ne.s pour les besoins de la narration, on encouragera et organisera la mise en contact avec ses futur.e.s partenaires de jeu en amont du tournage.

ÉTABLIR UN PROTOCOLE avec les dresseur.e.s pour l’accueil de l’animal sur le plateau et le transmettre à l’ensemble des équipes artistique, technique et de production (ex. ne pas toucher l’animal, ne pas solliciter l’animal entre les prises, parler à voix basse en présence de l’animal, éviter de fumer à proximité ou éviter les lumières directes, etc.).


DÉFINITION

SENTIENCE : Capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie… Tout ce que vivent les animaux et qui déterminent leur personnalité. Ce mot a été intégré au dictionnaire Larousse en 2020 après une campagne de la Fondation Droit Animal Ethique et Sciences.


3 – Le tournage
Adapter le plateau aux besoins de l’animal et assurer la protection de tou.te.s.

VÉRIFIER auprès de la production et de la régie que les conditions de transport et d’accueil de l’animal-acteur ont été anticipées pour chaque décor. L’animal, peu importe son espèce ou sa taille, aura besoin d’un espace calme, où se reposer en toute sécurité entre les prises, à l’écart du plateau et des équipes… comme tout acteur. Celui-ci ayant a fortiori une sentience particulière

RAPPELER dans la feuille de service les grands principes du protocole conclu avec les dresseur.e.s  (interdiction d’interagir avec l’animal, interdiction de le toucher, etc) et BRIEFER les figurant.e.s le cas échéant.

INFORMER les dresseur.e.s (plusieurs jours en avance) en cas de présence sur le plateau de matériel/engin susceptible de faire du bruit ou d’effrayer l’animal (grue, hélicoptère, etc).

PRÉVENIR les dresseur.e.s en cas de modification du découpage, du plan de travail ou de l’ordre des séquences tournées. Toutes modifications de cette ordre a en effet des conséquences sur la manière dont iels guideront l’animal sur le plateau.

CONVOQUER l’animal le plus tard possible afin de maintenir sa concentration lors des prises (même principe qu’avec les enfants) et lui éviter de rester enfermé longtemps en dehors de son lieu de vie habituel.

PRÉVOIR que les dresseur.e.s assiste à la mise en place sans l’animal. Ce dernier sera en effet laissé jusqu’à la dernière minute dans son espace de repos, avec une personne chargée de le surveiller (et de lui faire la conversation ou d’écouter ses doutes éventuels). De l’avis unanime des spécialistes consulté.e.s, un animal fatigue davantage en étant présent sur le décor qu’en accomplissant les actions de jeux qui lui sont demandées. L’agitation et les bruits du plateau mobilisent en effet beaucoup son attention.

RESPECTER les limites de l’animal, sa fatigue et les recommandations des spécialistes présent.e.s sur la plateau : les dresseur.e.s, le/la référent.e.s bien-être animal ou la/le vétérinaire sur le plateau sont formé.e.s pour lire le comportement des animaux. Ces dernier.e.s doivent être écouté.e.s sans discussion. S’iels annoncent que l’animal doit faire une pause ou qu’il a terminé sa journée de tournage, cette décision doit être respectée sans appel.

CHORÉGRAPHIER les scènes de foule avec des animaux : Elles doivent faire l’objet d’une anticipation particulière pour protéger autant les animaux que les figurant.e.s, surtout en présence de grands animaux (chevaux, vaches) ou de troupeaux. Il existe en effet un risque d’accidents. Pour cela, il est recommandé de chorégraphier et communiquer, avec autant de précisions possibles, les déplacements des figurant.e.s, des animaux et des dresseur.e.s, mis au fait de leur trajet respectif. Là encore, le STORYBOARD peut être un outil très efficace, en particulier pour les plans impliquant beaucoup de figurant.e.s, de véhicules, de déplacement.

RECOMMANDER la présence d’un.e vétérinaire sur le plateau : ce sont les seul.e.s habilité.e.s à évaluer l’état de santé d’un animal à son arrivée sur le plateau (il est interdit de faire travailler un animal blessé, malade ou trop affaibli). Par ailleurs, si malgré toutes les précautions prises en amont de l’action, l’animal avait un accident, ou se blesserait, sa présence permettrait une prise en charge immédiate. A défaut, un protocole d’urgence aura été défini avec les dresseur.e.s en amont du tournage.


C’est quoi, MALTRAITER un animal ?

  • Lui infliger des mauvais traitements : le priver de nourriture, d’accès à l’eau, le faire souffrir involontairement, l’enfermer dans une cage, ne pas le soigner en cas de blessure, etc.
  • L’abandonner : attention, désormais tous les animaux sont pucés, même lors d’achat en animalerie.
  • Lui faire subir des sévices graves ou des actes de cruauté (violence intentionnelle, blessure volontaire, le tuer).
  • Les atteintes sexuelles, ou le fait de filmer ainsi que de diffuser ces actes. 

Chacun de ces actes exposent l’auteur.e ou ses complices à des amendes voire à des peines de prison fermes pour les plus graves ou en cas de récidives.


4 – L’après tournage
Que deviennent ces animaux ?

En fonction des besoins d’un scénario, certain.e.s dresseur.e.s peuvent « acheter » des animaux qui ne seront pas « réemployés » pour d’autres films. Par ailleurs, l’abandon d’un animal fait partie des actes de maltraitance pénalement condamnés.

Dans quelles conditions passeront-ils le reste de leur existence ? Où iront-ils ? Dans quel type de structures ? Seront-ils adoptés par des particuliers ? Le lieu d’accueil auquel ils sont destinés a-t-il les moyens de répondre à leurs besoins (nourriture, soins, activités, tranquillité ou sociabilité) ?

Ces questions ne sont pas directement du ressort des assistant.e.s réalisation, ni des équipes de tournage (exception faite de la direction de production ou de la personne qui a « acheté » – puisqu’il ne s’agit pas ici d’adoption – l’animal pour le compte de la production). Néanmoins, si elles sont soulevées suffisamment en amont du projet, par une équipe soucieuse du bien-être animal, elles peuvent orienter le choix des professionnel.le.s ou de la structure de dressage employé.e.s pour le projet.

Les animaux du cinéma et de l’audiovisuel contribuent à faire naître les émotions et le plaisir ressentis à la découverte de nos films. Faire en sorte que cette expérience ne soit ni traumatisante, ni dangereuse est de notre responsabilité vis-à-vis d’eux, mais également vis-à-vis d’un public de plus en plus sensible au respect du bien-être animal. Surtout, elle ne doit en aucun cas les condamner, après le tournage, à une vie misérable, de captivité, non conforme aux intérêts ou aux besoins inhérents à leur espèce.


Cet article est le résultat de plusieurs mois de discussions avec des spécialistes passionné.e.s que je tiens à associer à ce projet. Je les remercie sincèrement pour leur travail et leur relecture éclairée, ainsi que pour le temps qu’iels m’ont accordé.

  • Christophe Debono, dresseur militant (L’arche des lumières), le premier à m’avoir répondu et inspiré – par sa volonté de faire évoluer son métier – pour la rédaction de cet article.
  • Dr Corinne Lesaine, vétérinaire-conseil, fondatrice d’Aloki Conseil (accompagnement des porteurs de projets de film avec des animaux), dont le mémoire a été ma base de travail et qui a accepté d’être associée à l’ensemble de nos initiatives.
  • Manuel Thomas et Juliette Roux-Merveille, dresseur.e.s et artistes animaliers (Dog Trainer) qui s’engagent au quotidien dans une éducation bienveillante avec leurs chiens et leurs oies. Leur site internet regorge de bons conseils pour comprendre et améliorer notre relation avec ces animaux, notamment sur les plateaux de cinéma.

Crédits photo : Didier (AMLF/Chez Wam) – Gaston Lagaffe (Les Films du Premier/Les Films du 24/UGC Images) – Roxanne (Quad Films/ADNP) – EO (Skopia Film/Recorded Picture Company) – DogSpa (damedeeso) – Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Touchstone/Amblin Entertainment/Silver Screen Partners)

Laëtitia Pelé

Autrice & assistante à la réalisation

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