Masterclass avec Stéphane Gluck, 1er assistant réalisateur
Il y a quelques mois, nous avons eu la chance de recevoir Stéphane Gluck, 1er assistant réalisateur cinéma, dans le cadre de la première « Masterclass ARA ».
30 ans de métier au service d’une filmographie impressionnante, riche de rencontres et d’anecdotes, Stéphane Gluck est un passionné, un pédagogue, un habitué des rencontres avec les étudiants afin de partager son savoir-faire. Un profil idéal pour l’entourer d’une quinzaine de jeunes assistants, scriptes et régisseurs en exercice afin de répondre, en toute franchise, à nos questions.Bonjour Stéphane. Quand on voit ta filmographie, on se dit « Wouah ! Quel parcours ! »… Tous ces films ! Et pour avoir grandi avec certains d’entre eux, on se demande, forcément, comment ta collaboration avec Luc Besson a débuté ?!
S. G. > C’est une histoire assez rigolote. Je vais essayer de vous la faire « courte ». :) En 1993, je préparais un premier film qui s’appelait « Pourquoi Maman est dans mon lit ? » de Patrick Malakian (1994). À un moment donné, la préparation s’est arrêtée.
Dans le même temps, le coproducteur du film avançait sur un autre projet, un téléfilm avec Robin Davis et je me suis retrouvé à faire les repérages du film. L’assistant réalisateur était Pascal Salafa.
En rentrant de ces repérages, je lui ai filé toutes mes notes et on a sympathisé autour d’un verre. Quelques temps après, on a appelé Pascal pour faire un film américain mais il n’était pas libre. Il a parlé alors de moi à un certain Bernard Grenet (NDLR : un assistant réalisateur de renom passé directeur de production sur des films comme « Le grand bleu » et « Léon » de Luc Besson) qui m’a contacté pour me demander un plan de travail.
J’ai pris ma bécane pour arriver dans un petit troquet pas loin de République (Paris). Je vous jure que c’est une histoire vraie ! Je suis rentré dans le bar et au bout de cinq minutes il m’a dit : « C’est bon, je t’engage ! »… « Comment ça, vous m’engagez ? ». Il m’a rétorqué alors : « Tu as une bonne tête… ! ». Texto… Et me voilà sur la préparation. Comme quoi, ça ne tient pas à grand-chose parfois.
Quelques mois passent et on m’appelle pour faire un téléfilm qui se tournait à Beaune en Bourgogne. Ça racontait l’affrontement de deux familles de viticulteurs. Je suis donc parti un mois pour repérer sur place. Au passage, un mois extraordinaire où j’ai visité tous les châteaux et gouté tous les vins… ! :)
Bref, en préparation de ce téléfilm, le producteur exécutif qui s’appelait Philippe Le Franc, cherchait un directeur de production. Je lui ai recommandé évidemment Bernard Grenet mais à la vue de son impressionnant CV, Philippe était dubitatif sur ses chances de le convaincre. J’ai un peu insisté et il l’a appelé.
Nous avons donc fait ce téléfilm ensemble où tout s’est bien passé. Un an est passé et à ce moment-là, Gérard Krawczyk préparait un film qui s’appelait « Héroïnes » (1997). Je connaissais déjà un peu Gérard mais il n’était pas sûr que j’ai le niveau. Bernard Grenet, toujours, m’a recommandé alors à lui et suite à ce téléfilm à Beaune ensemble, je suis parti sur le film de Gérard.
Quel âge avais-tu à ce moment-là et que s’est-il passé ensuite ?
S. G. > J’avais 32 ans. Après la sortie du film, j’ai entendu parler d’un casting d’assistants réalisateurs pour « Taxi » de Gérard Pirès (1998), produit par Luc Besson.
Bernard Grenet, encore et toujours, m’a branché sur le film. Les autres assistants étaient un peu flippés, moi ça me faisait marrer…
C’est à ce moment-là que tu rencontres Luc Besson !?
S. G. > Absolument. Un jour, je suis sorti de mon bureau de préparation à fond la caisse pour faire je ne sais plus quoi et je me suis cogné dans Luc Besson qui était déjà costaud à l’époque. :) On s’est salué avant de discuter quelques minutes.
Tu connaissais évidemment son parcours. Ça ne t’a pas mis une pression particulière ?
S. G. > Pas vraiment à vrai dire… Néanmoins, le tournage de Taxi a été sacrément compliqué. J’avais un peu la tête ailleurs car en fin de préparation, nous avons « perdu » le metteur en scène. Gérard (Pirès) a eu un accident de cheval, huit jours avant le début du film. Direction donc l’hôpital avec un bras cassé et une septicémie…
Luc était alors à Los Angeles en train de poursuivre la post-production du « Cinquième élément » (1997). Le film était censé ouvrir le festival de Cannes… Cela ne l’a pas empêché de nous aider. C’est aussi à ce moment-là que Gérard Krawczyk est arrivé pour prendre le relai.
Lors de la première semaine de tournage, on s’est donc retrouvé avec Gérard (Krawczyk) et Luc sur le plateau. Gérard Pirès était toujours à l’hôpital et nous allions le voir tous les soirs. Avec mon 4 couleurs de scripte et un cahier, je prenais des notes de leurs discussions sur les scènes du lendemain. Un moment assez inoubliable…
On entend tout et n’importe quoi au sujet de Luc Besson. Talentueux mais aussi intransigeant sur ses plateaux. Qu’en est-il vraiment ?
S. G. > J’ai fait sept films avec lui et ce n’est clairement pas un mec facile. Il est extrêmement exigeant. Mais il l’est plus avec lui-même qu’avec les autres. Voilà ! C’est le plus gros bosseur que j’ai vu de ma vie. C’est bien un truc que je ne peux pas lui enlever.
Il sait déléguer, faire confiance ?
Ça dépend. Quand j’ai préparé « Jeanne d’Arc » (1999), le tournage était divisé en trois parties. Il a exigé à la Gaumont de faire le film dans la continuité. Donc, tout le début du film, qui était en France, c’était un confrère en charge, Frédéric Garson. Moi, je préparais la République Tchèque. La dernière partie était de nouveau en France et je m’en suis chargé, seul.
À la veille de mon départ de quatre mois pour la préparation des batailles en Tchéquie… Nous avions quand même près de 22.000 cachets de figuration sur le film… J’ai croisé Luc à la Gaumont où il m’a confié : « Un seul conseil, hein, tu fais comme pour toi ! ».
C’est rigolo car des années plus tard dans un bouquin, il disait que cette phrase m’avait déstabilisé car il voulait me pousser à prendre des risques. Le jour où il est arrivé en République Tchèque, j’avais organisé une répétition avec 500 figurants, des chevaux, tout le bordel… Il aimait bien le début mais il est tout de même revenu sur quelques points à ajuster.
Bref, on peut dire tout ce qu’on veut sur ce mec-là… mais quand on fait du bon boulot à ses côtés, il sait le reconnaître. C’est un bosseur, un passionné !Revenons un peu à la genèse. Comment es-tu arrivé à ce poste d’assistant ?
S. G. > Mon papa faisait du cinéma. Et même si ça n’avait pas été le cas, j’aurai quand même essayé ce métier. En fait, je suis rentré un peu par hasard à l’ESRA à Paris (École supérieure de réalisation audiovisuelle) après une année en fac assez peu exaltante. J’y ai découvert le travail en équipe et ça m’a beaucoup amusé.
En sortant de l’ESRA, j’ai commencé à réaliser des films institutionnels et rencontrer, par la suite, les gens du cinéma des armées (ECPAD – Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense). Ils m’ont donné carte blanche pour un institutionnel à propos d’une usine d’armement. J’avais donc écrit un scénario, une sorte de comédie musicale qui se passait à l’époque des westerns… C’était en 1985 ou 1986 et pour ce travail, ils m’ont fait un chèque d’avance de 5000 francs. Hyper content, j’ai alors appelé mon cousin : « Mec, j’ai des ronds !! On part au ski ! ».
Là, j’ai fait une chute de 70 mètres où j’ai manqué de me tuer de peu. Du coup, pendant cette longue période de rétablissement, je me suis dit que ce n’était pas de l’institutionnel que j’avais envie de faire mais du cinéma. J’ai été stagiaire puis second assistant et enfin premier… Voilà. Mon premier film comme 1er assistant réalisateur, c’était en 1989 sur « La mort a dit peut-être » (Alain Bonnot – 1990).
Un chef de poste qui t’a marqué ?
S. G. > J’ai été le second d’un monsieur qui s’appelle François Crozade. Il vit à Cuba maintenant et c’est lui qui m’a appris le métier. Je lui dois beaucoup de choses.
Et le metteur en scène qui m’a fait vraiment démarrer, c’est un monsieur qui est désormais à la retraite qui s’appelle Alain Bonnot et qui a beaucoup travaillé dans les années 80. Il a été au préalable un immense 1er assistant réalisateur dans les années 60 et 70 : Verneuil, Melville, Zinneman , Bertolucci… Bref, du gros CV d’assistant.
Une définition du poste de premier assistant réalisateur ?
S. G. > Je ne sais absolument pas répondre à cette question… Je dirais que c’est essayé d’aider le mieux possible le metteur en scène à faire son film en tenant compte des contraintes de la production, de l’équipe et des acteurs.
Selon toi, à ce poste, quel est le meilleur équilibre entre la mise en scène et la production ?
S. G. > Avec l’expérience, je m’aperçois que je passe plus de temps avec le directeur de production qu’avec le metteur en scène. C’est très important de bien comprendre les mécanismes et les problématiques de la production… De connaître notamment, le coût des choses.
Parfois, nous pouvons nous sentir un peu seul à ce poste d’assistant réalisateur. Dans quelle mesure, l’assistant, doit impliquer un directeur de production un peu « fuyant » ? Ou encore un producteur qui te refile la patate chaude ?
S. G. > En un mot, la responsabilisation !
Je préparais « Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre » (Alain Chabat – 2002). Un jour, le producteur exécutif, qui était le bras droit de Claude Berri est venu me voir : « C’est bien cette version de scénario mais il faudrait que ce soit la dernière ». Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de problème mais que ce serait bien que ce soit lui qui aille le dire à Alain… Gros blanc. Il m’a répondu finalement qu’il accepterait sans doute une prochaine nouvelle version… :)
Un réalisateur qui ne tient pas compte des horaires… Est-ce à l’assistant réalisateur d’intervenir ?
S. G. > Ce n’est pas à nous, assistants, de dire « stop ». Nous sommes des techniciens comme tous les autres. C’est au directeur de production de faire son job. C’est lui qui signe les chèques. Le responsable, c’est le directeur de production, pas l’assistant ! C’est son métier, pas le nôtre.
En fait, on met le doigt sur un truc essentiel, la préparation ! C’est elle qui conditionne le tournage. Plus tu es préparé et moins tu as d’emmerdes sur le tournage.
Oui mais en même temps, les temps de préparation se contractent de plus en plus !?
S. G. > Je refuse dans ce cas-là. L’été dernier, j’ai fait une série avec Jan Kounen, pour une plateforme qui s’appelle « Blackpills » (NDLR : service de vidéo à la demande en streaming). Ça faisait longtemps que je voulais travailler avec lui. On s’est rencontré pour parler du projet… Quatre semaines de tournage pour quatre semaines de préparation. Je suis allé voir le directeur de production, un ami à moi et je lui ai annoncé que cette préparation était trop courte. Je lui ai alors proposé de prendre sur moi quelques semaines supplémentaires. Trois semaines de plus. Nous avons donc tourné 90 minutes en 19 jours avec une moyenne de 24 plans par jour, sans dépasser.
Jan Kounen est un metteur en scène ultra-technique. Il découpe et dessine tout avant. Dès les repérages, il a demandé cinq optiques et il a fait le film avec ces cinq optiques. L’avant-dernier jour de tournage, le directeur de production est venu me voir et m’a donné une semaine et demie de plus de salaire pour me remercier. J’ai trouvé ça super chic de sa part.
On dit souvent que l’assistant a autant de préparation que de temps de tournage… Une vieille habitude peut-être comme la fameuse page de scénario qui vaut pour 1 minute utile !?
S. G. > Non, ça c’est des conneries ! Sur Astérix, j’ai préparé pendant 28 semaines pour 23 semaines de tournage dans trois pays différents. Malte, le Maroc et Paris. Par exemple « Bon voyage » de Jean-Paul Rappeneau (2003), j’ai fait 27 semaines de préparation pour 19 semaines de tournage.
Est-ce que tu penses qu’il y a un type de personnalité faite pour ce travail ? Des prédispositions ?
S. G. > Une présence ?… Il faut avoir un truc quoi.
Je me souviens d’un jour où je suis passé voir des potes sur le tournage d’un film américain. L’assistant anglais dont j’ai oublié le nom avait une énorme bouteille. C’était un gars super grand avec des cheveux blonds, une queue de cheval… Plutôt beau mec. À un moment donné, il y avait un peu de bruit sur le plateau… Cet assistant s’est retourné très calmement et gentiment en disant en anglais : « Un peu moins de bruit, s’il vous plaît »… D’un coup, il y a eu plusieurs dizaines de personnes qui se sont arrêtées de parler… Et là, tu fais « Waouhhhh ! ». Sa justesse, son regard… Le message était passé.
On m’a appris quand j’étais second à demander le silence une fois. Je ne crie jamais sur un plateau, je déteste ça. J’ai une voix qui porte mais voilà. Tu le demandes au bon moment et ça s’arrête.
À force de demander le silence parfois, beaucoup d’assistants ne sont plus entendus au bout d’un moment…
S. G. > « Silence », c’est un mot magique ! Tu le dis une fois. Si tu le dis deux fois, ce n’est pas bien. Au besoin, tu dis : « Faut que ça fasse moins de bruit, parlez moins forts… ». Mais le silence, c’est comme moteur.
L’année dernière, ça papotait derrière le moniteur quand nous étions prêts à tourner. Ça a duré peut-être sept ou huit secondes… L’équipe me regardait sans comprendre pourquoi je ne donnais pas le moteur. À un moment donné, naturellement, les gens se sont tus et quand je me suis retourné vers le combo, une petite voix a répondu : « Pardon ».
D’un tempérament assez calme, c’est très rare que je me mette en colère sur un plateau. Par contre, je pense avoir un regard assez expressif. Quand je ne suis pas content, ça se voit. Il y a des moments où ce n’est pas la peine de hausser le ton. Au contraire. Plus tu dis les choses calmement, doucement et plus ça a de l’impact. C’est mon papa qui m’avait appris ça. On a tous eu un bon conseil, à un moment ou un autre, que tu vas retenir pendant toute ta carrière. Quel est le tien ?
S. G. > Un chef machiniste, un jour, à qui j’ai dit : « Mais dépêche-toi avec le travelling ! ». Il m’a regardé en me répondant : « Ton métier, ce n’est pas de faire que je me dépêche. Ton métier, c’est de faire qu’on ne perde pas de temps et que tout le monde puisse travailler. Moi, je ne peux pas poser mon rail de travelling plus vite… ». Il s’appelait Olivier Bouyssou. C’était en 1986. Sur les Champs-Élysées, une pub pour Citroën.
Quand tu parles de ce regard expressif, cela ne joue pas contre toi dans certains cas de figure ?
S. G. > Parfois oui. Cela peut trahir tes émotions. Un jour sur « Bon voyage » (2003), on tournait une séquence un peu compliquée. C’était la deuxième ou troisième semaine de tournage. Une journée avec beaucoup de figurants et j’avais un truc qui me tarabustait. On met en place le plan et on répète. J’avais le visage assez fermé et Jean-Paul me dit : « Ça va Stef ? ». Je lui dis : « Ouais ouais, ça va ! ».
On fait ce plan de grue et quelques prises… Jean-Paul me dit : « Est-ce que je peux te parler un instant ? » Il me prend par l’épaule et on commence à marcher… « Il faut que tu saches quelque chose. Tu as un petit visage d’une lecture immédiate. Je sens que tu es préoccupé ». Alors je lui ai dit : « Oui Jean-Paul, j’ai un souci parce que ci et ça mais bon je pense que normalement demain, j’aurai trouvé la solution ». Il me répond : « Alors à l’avenir, je préfère que tu me dises quand quelque chose ne va pas parce que quand tu me dis que ça va, et ça se voit que ça ne va pas, cela me dérange ». Je lui ai répondu : « Bien monsieur ».
Comment t’adaptes-tu à tes réalisateurs ?
S. G. > Je pense qu’il n’y a pas d’adaptabilité. À chaque metteur en scène, tu as une méthode de travail différente. Y’a des trucs que tu gardes mais moi je ne fais pas l’assistant de Luc Besson comme je fais l’assistant d’Alain Chabat ou de Jean-Paul Rappeneau ou de Jan Kounen. C’est quatre mecs tellement différents ! Comme je fais l’assistant de Julian Schnabel quand on a fait « Le scaphandre et le papillon » (2007). C’est un peintre. Ce n’est pas le même genre de délire.
Penses-tu que ça doit « matcher » personnellement parlant pour que ça se passe bien ?
S. G. > Alors une règle fondamentale, ça pour le coup, c’est une phrase qui m’a marqué à vie. Mon père a fait son premier court métrage avec Pierre Brasseur dans les années 50 et ce dernier a dit une très jolie phrase à mon papa.
Il a dit : « Il faut faire des films avec les gens avec qui on boit des coups et surtout, surtout, il faut boire des coups avec les gens avec qui on fait des films ». C’est une super jolie définition de ce métier.
Il y a quelques années, on m’a présenté un metteur en scène dont je tairai le nom. Un film énorme. J’ai rencontré ce metteur en scène pendant une heure et demie… Et je me suis dit que ce n’était pas possible de passer plus d’un an avec ce mec-là. Le lendemain, j’ai appelé pour refuser le film.
Est-ce que tu peux travailler sur un film sans aimer le scénario ? Ou encore avec un réalisateur sans avoir les mêmes goûts cinématographiques ?
S. G. > Ce qui m’intéresse surtout, c’est les humains. Là, aujourd’hui, on m’a proposé le film de Bertrand Tavernier. Je n’ai pas lu le scénario mais j’ai dit oui. Le mec est tellement génial puis comme j’avais loupé un de ces films précédents… (« Dans la brume électrique » – 2009).
J’ai passé trois heures dans un restaurant avec lui, le mec m’a parlé deux heures quarante-cinq de jazz et un quart d’heure de cinéma. C’est un fan de jazz comme moi. C’est un homme passionnant. Jan Kounen, demain, s’il me propose de faire un film sur un mec qui lit le bottin, je fonce !
Travailler gratuitement, une bonne chose ?
S. G. > Pour faire une réponse de Normand, ce n’est pas une bonne chose, mais ce n’est pas une mauvaise.
Faut-il tout accepter quand on cherche de l’expérience ?
S. G. > C’est la phrase de Colette : « Faites des bêtises mais faites-les avec enthousiasme ! ». Il y a des fois où on te propose du boulot et tu sens que ça va être une galère. Après, tu as pleins de raisons de le faire ou de ne pas le faire. C’est toujours une histoire de choix. T’y vas, t’y vas pas, ça vaut le coup, ça vaut pas le coup. J’ai besoin de ronds, d’heures et qu’est-ce que je vais apprendre ?
On est tous passé par là, forcément. Le court qui mène au long métrage…
S. G. > On en fait tous des trucs gratos au début. Et même après. J’ai refait un court il y a 3 ou 4 ans je crois, avec un copain. Nous avons tourné trois jours gratos et on s’est éclaté ! J’ai ramené toute l’équipe avec moi, des gens de long-métrage qui avaient des CV bétons. C’était un premier court métrage mortel !
Comment sondes-tu la production avant d’accepter un film ?
S. G. > Y’a un truc qui est beaucoup plus facile aujourd’hui, c’est qu’il y a internet. Donc, déjà, tu rencontres un producteur, tu vas sur IMDB, tu regardes les films qu’il a fait… Tu passes des coups de fil, tu appelles un copain régisseur, une maquilleuse, un chef opérateur, un assistant, une secrétaire de production… Bref, tu te renseignes.
Penses-tu qu’un bon directeur de production doit parler « pognon » tout de suite ? Parfois, on a l’impression qu’ils retardent le sujet… surtout quand ce n’est pas ou mal payé…
S. G. > Alors ce n’est pas un mec qui parle pognon tout de suite, mais c’est un mec qui doit en parler. Ça fait partie de son métier.
Après, il faut, encore une fois, se renseigner quand les gens t’appellent. Si tu découvres tes conditions le premier jour de prépa, c’est un peu de ta responsabilité. Sans transition, le parfait second assistant réalisateur selon toi ?
S. G. > Il n’y a pas un parfait second, il y en a pleins. Selon les films, je ne prends pas les mêmes. Sur « Mission Cléopâtre », mon second était Louis Leterrier qui depuis, est devenu un metteur en scène qui fait de très gros films. Il a été parfait pour faire Astérix.
Pour le film suivant, j’ai pris un autre second qui malheureusement n’est plus de ce monde et qui s’appelait Roger Delattre. Il était absolument parfait pour faire « Bon Voyage ». Si je les avais intervertis, ça n’aurait pas fonctionné.
Un profil pour chaque film, un profil pour chaque premier ?
S. G. > Pour chaque film, pour chaque metteur en scène… Tu as des gens qui sont adaptés à une certaine méthode de travail et je me suis trompé des fois. De toute façon, tu n’apprends qu’en faisant des erreurs. On fait tous des erreurs.
Petite parenthèse par rapport au devis, un premier assistant doit-il connaître le budget d’un film ?
S. G. > Ah oui, oui, bien sûr. Pas forcément les détails mais il faut savoir combien tu as pour fabriquer le film. Avec l’expérience, cette information aide à te faire une idée de là où tu mets les pieds.
Cette semaine par exemple, j’étais en rendez-vous avec un directeur de production qui m’a dit : « Si ça ne t’embête pas, quand j’aurai fini mon devis la semaine prochaine, j’aimerai bien qu’on le regarde ensemble car tu as plus de métier que moi. Cela m’intéresse d’avoir ton avis ». J’ai trouvé ça super malin de sa part. Mettre son ego de côté pour écouter l’expertise de l’autre. Ça marche bien sûr dans les deux sens.
On a tous un réseau qui se développe au fur et à mesure des films, des rencontres… et on sait que c’est quelque chose qu’il faut entretenir pour continuer à bosser. On peut rapidement t’oublier parfois dans ce métier. Une naissance, un accident de la vie… Comment ça se passe de ton côté ? Te forces-tu à voir des gens que tu n’apprécies pas pour travailler par exemple ?
S. G. > Ça non, les gens que je n’ai pas envie de voir, je ne les rappelle pas. Ça c’est une règle ! Je fonctionne toujours à l’instinct.
Par contre, il y a un truc, c’est que quel que soit ta notoriété, il y a un moment donné où il faut mettre ton orgueil sous le coude. Il y a une dizaine d’années, je me suis retrouvé sans boulot, mais vraiment sans boulot pendant quatre mois. Et à un moment donné, j’ai appelé tout le monde en leur disant : « Les mecs, j’ai besoin de bosser ». Pour les ronds et parce que j’allais devenir chèvre. Il faut donc savoir démarcher…
Qu’est-ce que tu réponds à celles et ceux qui ont l’impression de se fourvoyer pour travailler en entretenant ce réseau justement ?
S. G. > Tu leur dis de se bouger le cul !… :)
Il n’y a pas longtemps, une copine me dit qu’elle n’ose pas… Je lui ai répondu : « Mais tu n’oses pas quoi ?! Prends ton téléphone, appelle-le !! »… Après un café avec son contact deux jours après, elle avait décroché le job. Ça marchera, ça ne marchera pas… Il faut oser ! Au pire, qu’est-ce que tu risques ?…
Tu es bilingue ?
S. G. > Oui et puis ça m’amuse les langues… Tu me mets dans n’importe quel pays et j’apprends la langue en trois mois. Je répète comme un perroquet. J’ai l’oreille musicale. C’est une chance. Je prends un petit carnet et je note les mots en phonétique. Et comme ça, tu arrives des fois à finir le film sans interprète.
À ceux qui ne sont pas bilingues ?
S. G. > Tu mattes « Friends » (1994), en version originale. Un épisode tous les jours. Tu vas dans une librairie anglaise, tu t’achètes trois bouquins, un ou deux journaux… :)
En dehors d’un tournage, lorsqu’on ne sait pas quelque chose, on n’ose pas toujours demander… sur internet, les réseaux…
S. G. > Internet a pleins d’avantages et d’inconvénients. Je pense que quand tu as des questions à poser, le mieux, c’est de demander les yeux dans les yeux à quelqu’un. Pas sur internet.
Je me rappelle très bien du moment où Internet a commencé à exploser il y a 20 ans. On nous a expliqué qu’on allait créer une société de communication où tout le monde allait être ensemble. Vous n’avez jamais vu un couple au restaurant rivé sur leurs téléphones portables ?
Tu as commencé dans les années 80, au moment où les combos n’étaient pas monnaie courante. C’est un incontournable aujourd’hui. Cela a-t-il changé ta manière de travailler ?
S. G. > Sur « Bon Voyage », une première grosse journée à Bordeaux. On répétait un plan au Steadicam un peu compliqué, avec toute une rue bloquée… J’envoyais des tops dans tous les sens. À la fin du plan, j’ai fermé les yeux et Jean-Paul Rappeneau m’a appelé au combo pour voir la prise. Face à lui et sans regarder le combo, je lui ai répondu : « Je sais ce que tu vas me dire… La voiture ci, le groupe ça, le bus de la fin trop tôt… ». Bref, tout ce qui ne fonctionnait pas et nous étions d’accords. J’ai appris sans moniteur, à la lecture directe du plateau, du plan. Je n’ai pas toujours besoin de revoir.
Quitte à avoir ton réalisateur loin de toi et à ne pas voir ses réactions pendant la prise ?
S. G. > Moi, je suis à côté de la caméra, là où ça se passe. Je ne suis pas toujours à côté du metteur en scène. Sur un plateau, j’ai appris comme ça et jusqu’à ce que j’arrête ce métier, je serai à côté de la caméra, toujours.
Souvent, c’est le second qui est aux côtés du réalisateur si besoin. Le combo éloigne souvent les réalisateurs de la face.
S. G. > Mais surtout, les metteurs en scène maintenant quand ils regardent une image au combo, ils pensent que c’est prêt. Non, ce n’est pas prêt ! On vient juste de brancher le BNC (NDLR : connecteur électrique transportant le signal vidéo).
Je me rappelle une fois sur un film avoir négocié pour débrancher le BNC pendant les mises en place… Quand le réalisateur s’en est plaint, je lui ai répondu qu’on lui mettrait une image quand ce sera prêt.Scripte en repérage technique ou pas ?
S. G. > Ça dépend des films. Ça dépend aussi du metteur en scène, ça dépend de là où on tourne, ça dépend de ce qu’on tourne… Quand je fais des repérages techniques pour des scènes très techniques par exemple (bagarres, cascades, explosions…), ça ne sert à rien d’avoir la scripte. Par contre, si on vient s’installer pendant trois semaines dans un décor, où il y a le gros de la comédie, où on va réfléchir… Là oui !
Autre chose, il y a un truc que j’ai imposé sur certains films… La présence des assistants opérateurs aux repérages techniques. Ça leur évite le jour du tournage de se rendre compte des accès, des points d’alimentations pour leurs batteries, les camions…
En résumé, je dirais qu’il faut un juste milieu à un repérage technique pour que ce soit vraiment efficace, sans que ça ne prenne trop de temps.
Ton talkie-walkie ?
S. G. > J’ai un truc très spécial là-dessus. J’ai mon propre talkie. Toute ma vie, j’ai utilisé les vieux et gros talkies GP 300. Il en reste un à Paris, les autres ont été détruits. Pour mes 50 ans, le régisseur général d’un film m’en a fait graver un. En tournage donc, j’ai mon propre talkie ! On fait « quartzer » les autres pour que ça marche avec le mien. Au passage, mon talkie est fermé et je l’ouvre quand j’en ai besoin.
Un talkie ouvert en loge ou non ?
S. G. > Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de second en loge… Tu laissais le matin un talkie au maquillage et quand on était prêt, on appelait. J’ai lu votre article sur les loges (« La politique de la chaise vide« ), c’est super bien.
Qu’est-ce que tu utilises comme logiciel ?
Movie Magic Scheduling. MovieData, je ne sais pas. J’ai regardé… Moi, je suis Movie Magic, je l’utilise depuis 20 ans. Les baguettes, je les ai encore, j’ai appris comme ça…
On peut travailler avec Word et Excel quand même, mais on gagne en productivité avec un Movie Magic, on limite les erreurs !?
S. G. > Il y a un truc que je fais encore aujourd’hui. Quand je rentre une grille de plan de travail, je la rentre à deux. Là, par exemple, celui du film de Christophe Baratier, j’ai fait mon plan de travail sur MMS, mon dépouillement… Mais quand il a fallu rentrer une grille Excel, j’ai engagé un stagiaire pendant deux jours. Je me suis rendu compte que quand tu dictes les choses à quelqu’un, à haute voix, tu te rends compte des erreurs. C’est une vérification supplémentaire…
« Dropbox », « What’s App »… ?
S. G. > Je ne suis pas fan car le principe de « mais non, pourquoi tu n’as pas regardé… » ! Je suis pour dire les choses.
Tu as travaillé sur la série des Arthur (NDLR : « Arthur et les Minimoys » de Luc Besson – 2006). Quelles sont les grosses différences avec un tournage « classique » ? Vous avez tourné en décor naturel ?
S. G. > Sur Arthur, tout ce qui se passe sur terre, ce sont des vrais acteurs et de vrais décors. Tout ce qui se passe sous terre, c’est du dessin animé.
C’est un peu le même principe que « Roger Rabbit » (Robert Zemeckis – 1988). Il y avait des personnages animés qui étaient réintégrés dans nos images à nous ou encore des gens habillés en gris qu’on effaçait après en post-production.
Et en téléfilm ?
S. G. > J’ai tout appris avec les téléfilms. J’ai fait « Julie Lescault », « L’instit », « Les Cordier »… Tu apprends à être super efficace sur le temps, l’argent, les moyens que tu as, le nombre de plans qui faut faire.On dit souvent que ce n’est pas la même qualité qu’un film de cinéma. Techniquement d’une part, c’est une chose, mais aussi parfois au jeu où ce n’est pas toujours fantastique.
S. G. > Regarde « Le Bureau des Légendes », « 10% », ce sont des téléfilms, même si on appelle ça « série » maintenant. Le rythme, ça envoie. Et le résultat est très bon !
Quand tu as une question d’ordre législatif, tu t’adresses à qui ?
S. G. > À l’administrateur… Au directeur de production aussi. Ce sont eux qui connaissent la loi.
Quand tu dépouilles, combien de séquences par jour en moyenne et le temps nécessaire à une première étude du scénario selon toi ?
S. G. > Pour un dépouillement général assez complet, je mets quatre jours. Ensuite les temps de tournage, je prends deux jours à les estimer. Ça me prend du temps. En général, je fais un premier plan de travail en une journée, ça fait donc sept jours déjà. Je rebricole ensuite le plan de travail, j’ajuste… Huit… Une journée de travail avec le metteur en scène, ça fait neuf… puis je rentre une grille, ça fait dix. En général, ça me prend deux semaines.
Je ne fais pas un plan de travail en une semaine. J’ai des copains qui le font. Moi non. Je ne sais pas faire un plan de travail si je ne dépouille pas. Je suis de l’ancienne école.
Comment estimes-tu un temps de tournage ?
S. G. > On m’a demandé plein de fois mais je suis incapable de dire comme je fais… Pour le coup, c’est un truc que je trouve totalement intuitif et chaque film est différent.
Par exemple, sur « Bon Voyage » encore une fois, j’ai estimé les temps de tournage et après, j’ai passé trois jours avec Jean-Paul Rappeneau enfermé dans un bureau. Sachant qu’il découpe tout, dessine tout, on a quand même tourné 19 semaines. Il y a cinq plans qui ne sont pas montés dans le film, tout le reste l’est et c’est la seule fois de sa carrière où il n’a pas dépassé.
En dehors de l’aspect sécurité, est-ce qu’un assistant peut dire « non » ?
S. G. > Ce n’est pas qu’il peut, il doit dire non ! Un assistant est tout sauf un « béni oui-oui », il faut dire non, tu n’es pas là que pour dire oui.
On dit souvent que « Mister No », c’est le directeur de production…
S. G. > Non pas forcément. Sur « Bon Voyage », un jour, Gérard Depardieu m’a dit : « Stef, je m’en vais ! »… pour lire des textes de Saint Augustin avec Fanny Ardant à Florence… Il devait prendre un avion. Je lui dis que ça va être dur parce qu’il est du dernier plan. Le ton commence à monter, à un moment, j’ai vu rouge et je lui ai dit : « Si je peux t’arranger, je le fais, mais là je ne peux pas. Tu sais quoi, tu vas tout organiser, même le plateau ». Je lui ai mis mon talkie dans la main et j’ai quitté le plateau. Tournage arrêté. Les choses ont fini bien sûr par s’arranger par la suite.
Qu’est-ce que tu fais avec une équipe image qui, passé le nécessaire, attaque le superflu ? Alors qu’on est à la bourre et qu’il faut rentrer les plans.
S. G. > Mon surnom avec eux, c’est l’ »arapède » ! Je me mets à côté et je ne les lâche pas. Mon père a fait Vaugirard (anciens locaux de Louis Lumière). Je pense que je fais partie des assistants qui connaissent bien la technique. Ça aide…
À quel point ce n’est pas à la mise en scène de rattraper les retards que les autres postes peuvent prendre ?
S. G. > C’est ce que je disais tout à l’heure. Ce n’est pas rattraper le retard ton boulot… Ton travail, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de retard entre les différents corps de métiers.
Une maquilleuse trop longue sur ses raccords, un accessoiriste mal organisé, une habilleuse qui se trompe trois fois dans sa continuité… À quel moment cela est imputé à la mise en scène, à la production ?
S. G. > Alors ce qu’il faut savoir, de toutes façons, ce sera toujours ta (mise en scène) faute. Une fois que tu as compris ça, tu en prends ton parti. Cela ne doit pas empêcher de bien communiquer pour éviter les soucis, c’est très important.
Faut-il être un peu stratège dans ce métier pour réussir ?
S. G. > Je n’en sais rien. Ça m’a sûrement joué des tours dans ma vie mais j’ai toujours fonctionné à l’instinct. Je suis un mauvais calculateur : « Faut que je fasse ci pour rencontrer machin… ». Je ne sais pas faire ça. J’aime les gens ou je ne les aime pas. Quand je me fâche, je me fâche vraiment. Je suis un mec impulsif, instinctif et naturel.
Comment vois-tu l’avenir ?
S. G. > Je pense que la façon de fabriquer des films va changer. Les sommes et les enjeux ne vont pas être les mêmes. C’est une renégociation fondamentale. Suffit de voir la dégringolade de Canal+, un partenaire cinéma historique ou encore l’engouement pour Netflix… Il y a une espèce de tremblement de terre dans le cinéma français.
Est-ce qu’avec un CV comme le tien, on ne fait pas un peu peur ? À un jeune réalisateur, à un producteur…
S. G. > C’est marrant parce que je parlais de ça avec mon épouse il y a deux jours. Je pense que j’ai un CV très flatteur mais qui me dessert parfois. Plein de gens n’osent pas m’appeler parce qu’ils pensent que je ne suis pas libre, trop cher, pas flexible ou que ça ne m’intéressera tout simplement pas.
Oui, j’ai un CV qui fait peur à certains en effet. Je n’y peux rien, c’est comme ça. De toute façon, dans quelques années, je vais arrêter pour laisser la place aux jeunes. Je vais aller au bord de la mer et bouquiner avec ma femme et mon fils…
Stéphane, merci.—
IMDB Stéphane Gluck
Crédit image à la une : Stéphane Gluck
Crédit images de l’article : ARAssociés