Ce mouchard, toute une histoire !
Lors d’une rencontre croisée entre les photographes Gilles Peress et Raymond Depardon, ce dernier lit les documents de la scripte, Sylvette Baudrot, et dit :
Le premier rapport horaire indique que le film Muriel devait au départ porter le titre : Le Temps d’un retour. On peut y lire aussi : « Jeudi 25 octobre 1962, premier jour de tournage ». Il faut bien un premier jour de tournage ! « Mise en place du premier plan 12h20, répétition, tournage du plan n° 867 ».
Rencontre du 31 mars 2015 menée par Matthieu Orléan pour la Cinémathèque française autour de documents déposés par la scripte Sylvette Baudrot, et plus particulièrement les carnets de tournage de Muriel et d’Hiroshima mon amour.
Le rapport horaire (ou journalier) est, en effet, un document établi par le scripte. Comme un journal de bord, il dresse la chronologie de chaque journée de tournage.
La plupart du temps sont notés :
– les heures de tournage de chaque plan,
– les heures de changements de décor,
– les heures de mise en place des séquences,
– les heures d’arrivée et de départ des enfants dont le temps de présence sur le plateau est réglementé.
Sont répertoriés également :
– les accidents de travail des techniciens et des acteurs,
– les casses de matériels,
– les perturbations entraînant un retard, type aléas météorologiques.
Le scripte le remet à la production à la fin de la journée de tournage ou le lendemain.
Lorsqu’il a un assistant, le scripte lui confie la rédaction de ce document.
Il arrive que l’assistant mise en scène ait envie d’y jeter un oeil. Ce rapport lui offre une lecture distanciée de la journée écoulée et lui permet d’optimiser sa compréhension du plateau et de mieux anticiper les jours suivants.
Dans le jargon, on l’appelle « mouchard ».
Comme le dit Raymond Depardon :
Pour moi, ce document s’apparente plus à un rapport de gendarme, c’est distancié, ce n’est pas sentimental, ce n’est pas comme un journal…
Gilles Peress répond alors :
Et pourtant, ça s’est réellement passé ainsi. Ce qui est intéressant, et il n’y a pratiquement que le cinéma qui puisse cela, c’est que, grâce à ce genre de documents, il est possible de revenir sur un processus. L’intervention d’une méthodologie comme ce rapport horaire permet de faire une lecture de l’événement et de l’espace de création du film d’une autre manière. C’est une vérité du film. C’est de l’anthropologie, pas uniquement de l’observation mais la description de la méthode par laquelle se fait cette observation.
Historiquement, nous étions les « secrétaires de plateau ». Mais le métier a évolué. Au fil du temps, nous nous sommes adaptés à la dynamique du plateau et aux besoins des réalisateurs.
De nos jours, les temps de tournage sont réduits. Les caméras se multiplient alors que les plans de travail raccourcissent… L’essence de notre travail étant d’assurer la continuité du film et d’être vigilant quant à sa cohérence pour le montage, certains scriptes ont décidé de ne plus rédiger ce rapport. Les informations qui correspondent aux aléas du tournage sont alors notées dans le rapport de production, qui lui aussi est établi chaque jour par le scripte.
Du temps de la pellicule, lorsqu’une bobine faisait défaut et qu’il fallait faire des retakes, grâce à ce document, l’assurance pouvait calculer le temps perdu et rembourser aux productions les frais engendrés.
Aujourd’hui, grâce au numérique, les heures de tournage sont automatiquement inscrites dans les données informatiques des cartes mémoires. Tout est répertorié avec les images enregistrées.
Côté nouvelles technologies, de nouveaux outils sont apparus. Certains scriptes travaillent sur des tablettes et les heures de tournage des plans s’enregistrent automatiquement dans leurs applications. Les autres évènements survenus dans la journée tels que attente/accidents/casse/présence des enfants doivent être ajoutés manuellement.
Reste à avoir envie d’abandonner les bons vieux rapports de scripte qui se glissent si bien derrière le scénario !